Une femme en colère. Quand on arrive chez elle, à Villevêque, au débotté - elle ne répond pas au téléphone - elle maugrée pour répondre aux questions. En veut aux journalistes qui « ne parlent pas assez de la surdité et de la langue des signes ».
Car Monica Companys est sourde. Elle est née comme ça. « Et alors ? » répète-t-elle.
Prendre sa revanche
Cette femme de 61 ans a une revanche à prendre. Pas sur la surdité mais sur les portes qui lui sont fermées par la société à cause de ses oreilles. « On ne prend pas de sourd », lui a-t-on rétorqué lorsqu’elle postulait pour un rôle au théâtre.
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Pourtant, elle joue. Bien, en plus, comme en témoigne son prix d’interprétation en 2012 au Festival d’Anjou pour son rôle de la Vieille dans la pièce Les chaises, d’Eugène Ionesco. « Le seul moment qui m’a fait plaisir en dix ans. » « Son écoute et sa tension vers l’autre ont fasciné le jury », déclarait, à l’époque, Nicolas Briançon, directeur artistique du festival.
Comédienne, formatrice, professeure de sciences, éditrice, écrivaine, militante, Monica Companys est un personnage.
« On ne gesticule pas, on communique »
À la fac, elle se faisait passer pour Catalane ou Suédoise afin de cacher sa surdité et justifier à la fois son besoin de copier les cours - puisqu’en amphithéâtre, elle ne pouvait pas lire sur les lèvres du professeur - et sa façon, plus saccadée, de parler.
Maintenant, elle assume. « J’accepte de ne pas entendre. Pas de ne pas comprendre. » Et tout le monde en prend pour son grade. Les profs ? « Pas formés. C’est la pédagogie qui est nulle, pas l’élève. » Les services publics ? Elle lève ses pouces ironiquement. Le film La Famille Bélier ? « Cliché ! »
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Lorsque Monica Companys était encore enseignante en sciences au collège, un de ses élèves, sourd lui aussi, lui apparaissait comme « surdoué dans les matières scientifiques mais complètement nul en français ». Malgré ses recommandations, les parents de l’enfant l’ont envoyé en établissement de travail protégé. Dégoûtée, Monica Companys a claqué la porte de l’Éducation nationale pour devenir professeure et formatrice indépendante en LSF, la langue des signes française.
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Oui, langue, et pas langage. « On ne gesticule pas, on communique. » Traumatisée par ses séances d’orthophoniste lorsqu’elle était jeune, elle se bat pour la généralisation de la LSF à tous les enfants sourds. Et faire en sorte que parler ne soit plus nécessaire pour s’intégrer.
C’est de là, de cette rage, que vient sa débordante et irrémédiable envie d’aider les personnes qui, comme elles, doivent lire sur les lèvres et apprendre à parler pour pallier le manque de diffusion de la LSF.
Une cinquantaine de livres de sa plume
Après s’être vu refuser ses manuscrits dans les grandes maisons d’édition parisiennes, elle s’est lancée seule dans l’aventure chronophage de l’écriture et de l’édition. En 1998, elle commence avec Bon appétit, un ouvrage pour apprendre les aliments aux bébés en LSF et en français.
À l’époque, Monica Companys avait vendu sa voiture pour payer l’édition de ce livre. Cinquante-trois autres bouquins ont suivi. À part les illustrations, elle fait tout elle-même. Textes, mise en page, maquette. Y compris les photos où elle pose « en signant », c’est-à-dire en parlant la langue des signes.
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Ces livres coûtent cher et se vendent peu. Monica Companys en écrit d’autres pour les financer et promouvoir la LSF auprès du grand public. « Ils se vendent comme des petits pains. »
Mais son ultime combat, elle le livre encore. Faire en sorte que ses livres ne soient plus classés dans les rayons « médecine » ou « pédagogie » des enseignes de distribution, mais bien sur les étals « langue », au même titre que l’anglais ou le turc. « Quand j’aurai réussi ça, j’arrêterai. J’aurai fait mon boulot. »
Source : Ouest-France