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Enfants porteurs d’Implants Cochléaires et Communication signée : Parents et Professionnels pour le bon sens et la nuance

Contrainte irréalise et violence inutile
Article publié le vendredi 29 juin 2007.


Sommaire

Face aux discours qui prétendent exclure l’usage des signes avec les très jeunes porteurs d’implant cochléaires, les parents de cinq enfants sourds suivis par l’ECES ont souhaité exprimer leur point de vue...

Pour eux comme pour d’autres parents qu’ils connaissent, ce discours médical, purement théorique, est en total décalage par rapport au vécu réel des enfants sourds.

Echanges à bâtons rompus par un beau dimanche après-midi d’été résonnant de cris d’enfants...

Nous reproduisons ici un article de Georges Nicod paru dans le journal « Sourd Aujourd’hui » 9/2006.
Site Internet officiel de la Fédération Suisse des Sourds


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Sommaire

-  Introduction
-  Echanges à bâtons rompus par un beau dimanche après-midi d’été résonnant de cris d’enfants...

-  Jardin d’enfants de l’école cantonale pour enfants sourds (ECES)
un travail éducatif personnalisé dans le cadre du groupe

-  L’Institut Saint-Joseph à Villars-sur-Glane (Fribourg) - Choix du bilinguisme et suivi des enfants implantés

-  La rigueur médicale n’exclut pas l’ouverture

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Introduction

Suite au débat qui s’est amorcé dans notre journal, j’ai rencontré les parents de cinq enfants sourds - dont trois porteurs d’implants cochléaires (IC) - qui fréquentent le jardin d’enfants de l’Ecole cantonale pour enfants sourds de Lausanne (ECES).

En réalité, ce sont eux qui ont pris contact avec notre rédaction. Ils tenaient à exprimer leurs réactions face aux positions tranchées du Dr ORL Jacques Cherpillod, médecin-conseil de l’ECES, préconisant un suivi strictement oraliste des enfants, porteurs d’IC (voir notre numéro de juin dernier).

Pour ces parents, le fait de priver leurs enfants sourds, implantés ou non, de toute communication visuelle serait un acte de violence, source de souffrances inutiles. De toute manière, l’exigence du « tout oral » leur paraît complètement irréaliste. C’est une illusion de purs théoriciens, estiment-ils, inapplicable dans la vie quotidienne - ne serait-ce que parce que l’enfant implanté se retrouve privé d’audition dès que le l’IC est débranché, ce qui arrive dans de nombreuses circonstances...

Autant ces parents rejettent toute interdiction des signes, autant ils se sentent en complet accord avec l’approche sensible et nuancée des professionnels du secteur préscolaire de l’ECES.

Pour compléter mon information, je me suis rendu dans cette école lausannoise, ainsi qu’à l’Institut St-Joseph, près de Fribourg. Enfin, j’ai pu m’entretenir avec le Dr ORL Mattheus Vischer, chef du service d’implants cochléaires de l’Hôpital de l’Île (Inselspital), à Berne.

Quand j’ai demandé au Dr Vischer ce qu’il pensait de l’usage des signes avec les enfants porteurs d’IC, il m’a répondu en substance : « Evitons à tout prix d’entrer en guerre sur cette question ! »

Le chirurgien et audiologiste bernois, sans se démarquer médicalement de ses confrères de la région lémanique, privilégie en effet l’ouverture et le consensus entre milieux médicaux, parents et équipe professionnelle.

Pour les enseignantes spécialisées, logopédistes et psychologues que j’ai rencontrés tant à l’ECES qu’à St-Joseph - tout comme pour les responsables de ces établissements -, la question de savoir si tel ou tel enfant sourd est porteur ou non d’un implant cochléaire n’est pas, en soi, primordiale. L’important, c’est que chaque enfant se développe au mieux, non seulement dans le domaine de la communication, mais aussi sur le plan psychique, physique, affectif, social... Pour cela, il s’agit de mettre à son service, en adéquation avec l’évolution de ses besoins et de ses compétences, tous les outils et moyens à disposition pour stimuler et favoriser ce développement. Dans cette perspective, l’IC est un puissant outil technologique. Il permet, chez la majorité des enfants sourds profonds qui en sont porteurs, d’obtenir des résultats remarquables dans l’éducation de l’audition et la construction du langage oral. Mais le recours à une communication visuelle - plutôt français signé à l’ECES, plus axé sur la langue des signes à St-Joseph - n’en reste pas moins un apport indispensable, tout comme la collaboration d’enseignants sourds.

Quant au langage parlé complété (LPC), son utilisation peut s’avérer précieuse pour l’acquisition de certaines finesses du langage oral.

Face aux discours qui prétendent exclure l’usage des signes avec les très jeunes porteurs d’implant cochléaires, les parents de cinq enfants sourds suivis par l’ECES ont souhaité exprimer leur point de vue. Pour eux comme pour d’autres parents qu’ils connaissent, ce discours médical, purement théorique, est en total décalage par rapport au vécu réel des enfants sourds.

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Echanges à bâtons rompus par un beau dimanche après-midi d’été résonnant de cris d’enfants...

« Ce n’est pas parce que nos enfants portent un implant cochléaire qu’ils entendent 24 heures sur 24. L’enfant sourd implanté reste un enfant sourd : quant on vit avec lui, c’est une évidence. Chaque fois que l’enfant débranche son implant - c’est-à-dire dès qu’il se met au lit et jusqu’à son lever, mais aussi sous la douche, quand il fait sa toilette, dans son bain, à la piscine - n’oublions pas qu’il n’entend rien ! De même en cas de panne ou quand les batteries sont à plat et qu’on n’a pas la possibilité de les remplacer immédiatement... Et ce ne sont pas forcément de brefs instants, que l’on pourrait simplement mettre entre parenthèse. »

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Un enfant « métisse »

« Imaginez. D’un moment à l’autre, votre enfant n’entend plus. Quand cela arrive, il faudrait arrêter net la communication ? Ce serait intolérable. Ne serait-ce que pour cette raison, l’utilisation des signes est indispensable. »

« L’enfant sourd porteur d’un implant cochléaire est en quelque sorte un enfant métisse. Il porte les deux identités : de sourd et d’entendant. A certains moments, il est presque comme un enfant entendant, et l’instant d’après, il est sourd. L’important, c’est de pouvoir adapter la communication à toutes les circonstances. »

« Et, comme un enfant métisse, l’enfant sourd implanté passera certainement par une étape difficile quand il sera plus grand : il ne sera peut-être par reconnu comme sourd à part entière dans le monde des sourds, ni comme entendant parmi les entendants. Alors la langue des signes pourra être ses « racines » chez les sourds comme l’implant sera ses « antennes » chez les entendants ! »

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« Sans rapport avec la réalité »

« En fait, constate une mère, ce discours des médecins qui voudraient que l’on cesse de signer avec les enfants implantés m’apparaît comme purement théorique, sans rapport avec la réalité. On dirait qu’ils ont ouvert un bouquin et qu’ils récitent, sans réfléchir, des règles écrites : il faut, il faut pas... Mais j’aimerais bien que l’un d’eux nous accompagne, par exemple, un après-midi à la piscine, quand l’enfant a débranché son implant. Il verrait que là, on rentre vraiment dans une autre dimension ! Où est ma fille ? Elle jouait avec ses copains, tout à coup voilà qu’elle a disparu ! Inutile d’appeler, de crier, puisqu’elle n’entend pas... Ah, la voilà, mais qu’est-ce qu’elle fait de l’autre côté du bassin ? Si nous n’avions pas la langue des signes pour communiquer, le stress, pour l’enfant comme pour nous, serait dix fois plus grand !

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Les signes, une communication naturelle

Que l’enfant soit sourd ou entendant, dès les tout premiers âges de la vie, il établit une communication avec son environnement, son entourage. Cette communication non verbale passe à travers tous les sens. C’est ainsi qu’à un âge très précoce, un code de communication visuel élémentaire peut s’établir très facilement, même avec un enfant entendant. Témoin de l’expérience qu’ont vécue les parents de deux filles, la première sourde, la deuxième entendante : « Quand notre seconde fille a atteint l’âge de 6 mois environ, nous nous sommes rendu compte qu’elle cherchait à communiquer par signes. Elle faisait souvent un même signe, près de l’oreille. On a d’abord pensé qu’elle souffrait peut-être d’une otite, mais nous avons fini par comprendre qu’elle voulait dire « j’entends » ! Elle était, bien sûr, en contact avec les signes de la langue des signes, mais nous n’avions jamais essayé consciemment de les lui apprendre. Quand elle a eu 9 à 10 mois, on a commencé à mieux la comprendre, et on s’est rendu compte qu’elle exprimait déjà, par signes, tous ses besoins : caca, manger, soif, bobo, etc. - alors que les autres enfants de cet âge ne peuvent que pleurer pour faire savoir que quelque chose ne va pas. Grâce à cette communication précoce, nous pensons qu’elle a évité bien des frustrations ! Et c’est vrai qu’elle était plus calme, plus sereine que d’autres enfants. »
Ce témoignage converge parfaitement avec l’expérience éducative de certains parents anglo-saxons, qui ont fait le choix d’apprendre à signer pour instaurer une communication précoce avec leur bébé entendant ! (Voir Sourd aujourd’hui 8/2006,p.17)

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Signer le plus tôt possible

Quand un enfant a été identifié comme sourd, il paraît donc important d’établir le plus tôt possible une communication signée avec lui : c’est en tout cas ce que se sont efforcés de faire les parents que j’ai rencontrés. Quand, par la suite, certains enfants ont reçu l’implant cochléaire, il était évident pour leurs parents qu’il fallait continuer à pratiquer le français signé. « Avec un enfant implanté, on sait qu’il faut accorder beaucoup d’attention à l’oral et à l’audition, mais les signes n’en restent pas moins très importants. Il ne faut pas s’imaginer que l’implant, comme par miracle, permet tout à coup à l’enfant d’entendre ! Il doit apprendre à utiliser ce nouvel outil. Même s’il a du plaisir à découvrir progressivement les bruits de son environnement et à apprendre à les identifier, et même s’il montre une certaine avidité pour l’oral, cela reste un travail long et difficile. Il faudra beaucoup de temps pour qu’une communication purement orale devienne vraiment possible. »

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Une base rassurante

Durant tout ce processus, le maintien d’une communication gestuelle est un élément de permanence qui rassure les enfants. « Pour les petits implantés, les signes sont en quelque sorte un support, une base à partir de laquelle ils vont pouvoir partager avec nous la découverte de cet inconnu qu’est pour eux le monde sonore. » Il en va de même lors de la construction du langage oral. « Quand elle rencontre un nouveau mot, notre fille éprouve le besoin de le confronter au signe correspondant. On a l’impression que ça l’aide à l’accepter, à l’intégrer. Ça veut dire quoi, ce mot ? Ah oui, c’est comme tel signe... »
« Pourquoi priver un enfant sourd de la langue des signes ? C’est aussi dommage que de le priver d’un implant cochléaire ! Si un enfant a la chance d’être bilingue, où est le problème ? Dans la mesure du possible, nous pensons qu’il faut mettre à la disposition des enfants sourds tous les moyens existants pour leur permettre de développer au mieux leur communication : implant ou appareils auditifs, langue des signes, oral, LPC... Les enfants et leur entourage trient ce qui leur est utile dans chaque situation. Instinctivement, si l’on est attentif au développement individuel de chaque enfant, on tire le meilleur parti de toutes les aides existantes pour le faire progresser. »

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Priver l’enfant des signes, c’est lui faire violence

Vouloir priver les enfants sourds, implantés ou non, de toute communication signée, ce n’est pas seulement une exigence incompréhensible, mais c’est aussi leur faire violence, estiment les parents. « On nous dit que des études scientifiques prouvent que l’utilisation des signes se fait au détriment de l’entraînement à l’oral et à l’audition, et donc de la construction du langage... Mais ce n’est pas parce qu’on peut démontrer, soi-disant scientifiquement, qu’on obtient de meilleurs résultats en usant de violence qu’il faut imposer cette violence ! On pourrait aussi faire une étude scientifique pour savoir si les enfants apprennent pus vite et mieux avec des coups de bâtons ! - ce qui serait probablement vrai, mais quels en seraient les séquelles physiques et psychologiques !? »
A l’opposé, ces parents mettent en avant la notion de confort. « Le confort dans la communication n’est pas un luxe, mais une condition du bien-être. L’enfant apprend selon un processus qui doit rester naturel : on peut le stimuler, mais on ne doit pas le forcer. Il faut tenir compte du facteur fatigue. L’effort que l’on demande aux enfants sourds est énorme. L’utilisation des signes peut soulager cet effort, au moins par moments, et cela même pour l’apprentissage de l’oral ! » S’adapter à chaque enfant Aux yeux des parents, un médecin - qui jouit forcément d’un prestige et d’une autorité particulière - devrait se contenter de donner des conseils individualisés, vraiment utiles à chacun. « Qu’il nous encourage à mieux entraîner l’audition et l’expression orale chez notre enfant implanté, cela paraît sensé. Mais qu’il prononce un interdit général sur la langue des signes - d’ailleurs inapplicable - ce n’est pas son rôle ! Heureusement, les médecins ne sont pas tous d’accord entre eux. Il y en a aussi qui défendent la langue des signes. Et il n’y a pas que les médecins. D’autres professionnels de la surdité - enseignants spécialisés, logopédistes, psychologues, etc. - ont des points de vue très différents. Si nous apprécions tant les professionnelles du jardin d’enfants de l’ECES, c’est précisément parce qu’elles savent s’adapter en continu. Tout en dialoguant en permanence avec nous, elles observent les progrès de l’enfant, et elles peuvent ainsi lui apporter les stimulations et les apprentissages qui lui conviennent le mieux au point où il en est... »

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Le contact avec les sourds adultes, c’est aussi important

Un des parents évoque le problème des rapports avec la communauté des sourds. « Les sourds adultes sont déjà très méfiants à l’égard de l’implant cochléaire. Ce n’est pas en prononçant de nouveaux interdits qu’on va favoriser leur ouverture ! L’identité sourde, je crois que ça existe, et le contact avec les adultes sourds reste important pour nos enfants. Même intégrés et à l’aise dans le monde entendant, ils ne perdront jamais de vue qu’ils sont sourds. Après des années, on voit des parents qui continuent à signer avec leur enfant, alors que ce n’est plus forcément nécessaire... Et on voit des jeunes sourds qui, arrivés à un certain âge, éprouvent le besoin de nouer ou de renouer des liens avec la communauté sourde. »
« Je ne peux pas m’empêcher de penser que derrière les discours qui voudraient disqualifier la langue des signes, il y a forcément certaines arrière-pensées politicofinancières. Le fantasme de « normaliser » tout le monde grâce à l’implant... et de fermer les écoles spécialisées. »

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JARDIN D’ENFANTS DE L’ECOLE CANTONALE POUR ENFANTS SOURDS(ECES)

UN TRAVAIL EDUCATIF PERSONNALISE DANS LE CADRE DU GROUPE

L’équipe du jardin d’enfants de l’ECES a bien voulu répondre à mes questions sur le suivi éducatif des enfants sourds implantés. Anne Lavanchy, directrice ad interim de l’ECES, prenait part à ce petit débat.

Faites-vous une différence, dans votre prise en charge au jardin d’enfants, entre les enfants sourds porteurs d’implant cochléaire et les autres ?

« Oui, mais - selon les enseignantes spécialisées - la différence de la prise en charge n’est pas seulement déterminée par le type d’appareillage. Quand ils arrivent au jardin d’enfants, les enfants ont en général moins d’une année et le plus souvent ils ne sont pas encore implantés. D’ailleurs, on ne peut pas savoir avec certitude s’ils le seront plus tard. Il arrive qu’un enfant soit annoncé comme sourd profond, et qu’ensuite on se rende compte qu’il a une récupération suffisante avec ses appareils auditifs et n’a pas besoin d’être implanté. Le cas inverse peut aussi se présenter. De toute façon, l’important, pour nous, c’est que les enfants développent le plus tôt possible une bonne communication avec leur entourage. Toutes les études montrent que la communication précoce est essentielle au développement psycho-affectif des tout-petits. La plupart des parents prennent des cours de langue des signes, ce qui leur permet de communiquer en français signé avec leur enfant. Nous, au jardin d’enfant de l’ECES, nous pratiquons depuis toujours aussi bien le langage oral que le français signé et le LPSC si besoin est. »

Après un certain temps, soit l’enfant reçoit un implant cochléaire, soit il reste simplement appareillé. A ce moment, faites-vous une différence entre ces deux catégories d’enfants ?

Pour nous, chaque individu doit être considéré pour lui-même, avec sa propre évolution et ses propres besoins - et le seul fait que certains enfant portent un implant et d’autres un appareil auditif n’a pas, à priori, d’incidence particulière sur nos choix éducatifs. Notre mission est de répondre de la façon la plus adéquate aux besoins de chacun à chaque moment de son évolution. Nous sommes très attentives au développement de la capacité auditive de chaque enfant et nous faisons en sorte de le stimuler le plus efficacement possible - que cet enfant soit implanté ou non ! »
« Quand ils sont tout petits, relève Anne Lavanchy, directrice ad interim de l’ECES, il s’agit de favoriser chez tous les enfants le développement de leur communication avec leur entourage et de leurs liens sociaux : cela nécessite une communication globale, à la fois gestuelle et parlée. Dès que possible, on met l’accent sur l’oralisme principalement. Bien sûr, l’implantation permet en général d’arriver plus rapidement à cette étape. »

On peut quand même penser qu’il est nécessaire d’entreprendre un travail particulièrement intensif sur l’audition et l’oral à partir du moment où l’enfant a reçu son implant...

« Mais bien entendu ! Dans cette phase, il y a un très gros travail à faire sur l’audition », soulignent les enseignantes spécialisées. « Nous sommes attentives à soutenir et à stimuler en permanence cet apprentissage - et les parents y prennent aussi une part très active - en attirant l’attention de l’enfant sur tous les bruits du quotidien et en lui apprenant à les identifier. »
« En tant que logopédistes, c’est précisément notre spécialisation d’éduquer l’audition et l’oral. Dans le cas d’un enfant implanté, il faut bien voir que l’on part pratiquement de rien. Quand il vient de recevoir son implant, l’enfant sourd profond n’a encore jamais été en contact avec les sons, précédemment. C’est un long et minutieux travail de lui apprendre à les différencier, à les identifier, à les iscriminer - aussi bien les bruits du quotidien que les sons du langage, puis les mots... Dans ce contexte, nous utilisons le langage oral, avec ou sans LPC pour un travail précis sur les phonèmes, et le français signé comme support à la communication. Mais le développement d’un enfant doit être considéré dans sa globalité, et il existe également toute une gamme de moyens éducatifs qui intègrent l’audition et l’expression orale dans une dynamique mettant en jeu le corps tout entier : musiquerythme, verbo-tonale, éveil corporel, dynamique naturelle de la parole, sont autant de méthodes que nous utilisons en séances. »
« Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’imaginer que l’implant est une baguette magique », met en garde la psychologue. « Quand tout va bien pour l’enfant, notamment sur le plan familial, et quand la pose de l’implant a été précoce, il est vrai qu’on peut tabler sur de bonnes perspectives - à condition, évidemment, de mettre tout en oeuvre pour offrir les meilleures conditions. Mais il y a quand même des enfants qui ne développent que très lentement une communication orale. Parfois, même, certains ne parviendront jamais à construire véritablement un langage oral. Leur moyen de communication privilégié restera la langue des signes.

Quand le Dr Cherpillod dit qu’il se fonde sur des études scientifiques pour préconiser l’abandon de toute communication signée avec les enfants porteurs d’implant cochléaire, ce n’est pas un argument décisif, pour vous ?

« En sélectionnant des paramètres spécifiques, les études médicales fondées sur des statistiques présentent toujours des biais plus ou moins évidents », fait remarquer une logopédiste, « alors que ce qui importe vraiment, c’est le développement global de chaque enfant. Nous nous sentons plus proches d’autres recherches pour lesquelles il y a complémentarité entre langue des signes et langue parlée ou encore aux conceptions du Dr Benoît Virole, spécialiste de la psychologie de la surdité. »

« Le Dr Cherpillod exprime un point de vue de médecin » relève également Anne Lavanchy. « Nous travaillons dans le champ de la pédagogie et nous avons effectivement une conception plus large du développement de l’enfant. Les choses sont plus complexes que cela, d’oralisation mais également de compréhension, et de communication de manière plus large.
Il faut regarder de près ce que chaque étude médicale évalue chez l’enfant sourd. Ce n’est pas parce qu’un enfant est capable de répéter des mots ou des suites de mots qu’il en comprend forcément le sens. Cette dimension du sens, pourtant essentielle pour évaluer le développement du langage, n’est pas toujours au centre de certaines recherches. »

Vous pratiquez un travail personnalisé, adapté à chaque enfant. Mais en même temps le jardin d’enfants est un lieu de socialisation, donc beaucoup d’activités s’adressent au groupe tout entier...

« On peut en effet parler d’un accueil et d’un travail personnalisés dans le cadre d’une groupe », acquiescent les deux éducatrices spécialisées. « L’objectif de socialisation est très important, à nos yeux. Le jardin d’enfants est le seul lieu où des enfants sourds si jeunes peuvent se retrouver avec leurs pareils. Les enfants sont aussi en contact avec notre collègue sourde. Ce n’est peut-être qu’une demi-journée par semaine, mais c’est important, cette rencontre avec un adulte sourd, pour que l’enfant puisse se situer dans la société, développer son identité propre. Ce contact est d’ailleurs important pour les parents également. »
« Par ailleurs, comme vous avez pu vous en rendre compte, le jardin d’enfants est aussi le lieu où nous rencontrons les parents avec leurs enfants, et où, également, les parents se rencontrent entre eux. Ces relations avec les familles, et entre les familles, sont extrêmement importantes pour tout le monde - et bénéfiques pour les enfants.

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L’INSTITUT SAINT-JOSEPH A VILLARS-SUR-GLANE (FR) CHOIX DU BILINGUISME ET SUIVI DES ENFANTS IMPLANTES

L’implant cochléaire exige un entraînement intensif de l’audition : ce mot d’ordre des médecins peut s’accommoder d’une pratique pédagogique en faveur du bilinguisme LSF - langue orale / écrite. La preuve à l’Institut Saint- Joseph.

En 1995, l’Institut Saint-Joseph - établissement spécialisé pour les enfants sourds du canton de Fribourg - a clairement et consciemment le choix du bilinguisme langue parlée / langue des signes. Christophe Maradan, responsable de la Section surdité, le souligne avec force : « C’est un vrai choix d’équipe, auquel nous tenons : tous les collaborateurs maîtrisent et utilisent aussi bien la langue des signes que le français. »

Si cette option de base du bilinguisme est maintenue tout au long de la scolarité à Saint-Joseph, rappelons tout e même que l’organisation de l’enseignement permet de moduler l’orientation linguistique selon les élèves (voir Sourds Aujourd’hui 7/2005). C’est ainsi qu’au niveau du « cycle de base » (7-11 ans) et du « cycle intermédiaire » (11-14 ans), l’Institut propose deux filières : l’une dans laquelle la langue orale est prioritaire dans les apprentissages, l’autre basée principalement sur la langue des signes. Par ailleurs, dans le canton de Fribourg aussi, un nombre croissant d’élèves sourds ou malentendants sont intégrés dans l’école ordinaire.

L’Institut Saint-Joseph a mis sur pied deux structures d’appui à leur intention, le « soutien pédagogique spécialisé » (SPS) et le « service thérapeutique spécialisé » (STS). Mais qu’en est-il de l’accueil des tout-petits - et en particulier de ceux qui vont recevoir ou ont reçu un implant cochléaire (IC) ?

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Collaboration étroite avec l’Inselspital

Comme à l’ECES, le suivi thérapeutique et la prise en charge pédagogique des tout jeunes sourds s’appuient sur une étroite collaboration entre les professionnels et les familles. D’autre part, en vertu d’une convention entre les deux établissements, l’équipe de l’Institut Saint-Joseph collabore, dès le début du suivi thérapeutique, avec les professionnels du service de pédo-audiologie de l’Hôpital de l’Île (Inselspital), à Berne, dirigé par le docteur Mattheus Vischer (interview à la fin de l’article).
Les professionnels de l’Institut Saint-Joseph travaillent d’ailleurs également en collaboration avec d’autres médecins ORL, ainsi qu’avec le Centre romand d’implants cochléaires (CRIC) à Genève.

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Avant et après l’implant

La première phase du suivi thérapeutique - pendant laquelle les relations de confiance s’établissent entres les professionnels et les parents - comporte un travail d’observation de l’enfant et d’évaluation de ses facultés auditives sans et avec appareils auditifs. Les tests sont répartis entre l’Inselspital et Saint-Joseph. Selon les résultats de ces investigations, le choix de la pose d’un implant cochléaire pourra être proposé par l’équipe de l’Inselspital. Lorsqu’un enfant a été implanté, son suivi thérapeutique se poursuit en grande partie dans l’établissement de Villars-sur-Glâne en liaison avec le service pédo-audiologie de l’hôpital bernois, et des rencontres régulières permettent aux professionnels des deux établissements de faire le point sur l’évolution de chaque situation.

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Un projet pour chaque enfant

A Saint-Joseph, le travail logopédique - mais aussi psychomoteur et psychologique - se fait en étroite collaboration entre les professionnels dans le cadre d’un groupe thérapeutique obéissant à une philosophie d’équipe. Ce groupe thérapeutique prend en compte les attentes des parents et définit avec eux un projet particulier pour chaque enfant. La prise en charge thérapeutique des tout-petits suit un principe de « communication totale et bilingue la plus ouverte possible » - où tous les moyens de communication sont mis en oeuvre pour développer la capacité de l’enfant à se faire comprendre et à être compris.

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Le plaisir, facteur de développement

Les professionnels de Saint-Joseph mettent en particulier l’accent sur la dimension du plaisir. Il est prouvé que le plaisir partagé stimule le développement de la communication. Pour cela, l’expression doit être spontanée et libre de toute contrainte : elle peut être aussi bien gestuelle qu’orale.

Par la suite, « le choix de l’IC va peu à peu orienter le travail logopédique vers la langue orale », selon la logopédiste Anne Tranzer Alt. Mais, ajoute-t-elle, pendant l’apprentissage de l’oral, qui nécessite de l’enfant implanté un très grand effort, les signes gardent une fonction importante pour le développement global de l’enfant. « Ils lui permettent de continuer à exprimer ses envies, ses sentiments, ses besoins, et de développer sa pensée et sa curiosité. »

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La classe des tout-petits

Le travail avec l’enfant est d’abord individualisé, puis à la fois individualisé et collectif : dès l’âge de trois ans, en effet, les enfants peuvent fréquenter progressivement le « cycle découvertes » ouvert deux demi-journées et une journée entière par semaine. S’inspirant des principes énoncés plus haut, cette classe de niveau maternelle/enfantine est encadrée par plusieurs professionnels : la maîtresse enfantine Marie Huguenin - actuellement en cours de spécialisation -, l’éducateur spécialisé sourd Bernard Morel et les thérapeutes de la Section.

Dans ce « lieu de socialisation, de communication et d’acquisitions préscolaires », l’approche pédagogique diffère-t-elle entre les enfants selon qu’ils sont porteurs d’un IC ou non ? Question incongrue, pour Marie Huguenin. « S’il est vrai que chaque enfant se caractérise par une situation et des besoins qui lui sont propres et auxquels nous nous devons de répondre, il ne nous viendrait pas à l’idée de porter un regard différent sur les porteurs d’implant et sur les autres ! »

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Le collaborateur sourd, double référence identitaire

Dans ce jardin d’enfants, la langue des signes est apportée en particulier par le collaborateur sourd, qui intervient deux fois durant la matinée. « C’est intéressant, soit dit en passant, que ce soit un homme qui occupe ce poste. Ainsi, pour les enfants, Bernard n’est pas seulement un modèle d’adulte sourd, mais aussi une référence masculine dans ce monde de la petite enfance dominé par les femmes ! » Quand par exemple - situation pédagogique fréquente - Marie et Bernard racontent ensemble une histoire aux enfants, les rôles sont bien distincts en fonction du mode de communication : « Bernard s’exprime en langue des signes et moi oralement. Les enfants, eux, ont la liberté de choisir à leur gré leur mode d’expression. » Dans ce genre d’exercice, l’important, en effet, c’est qu’« ils construisent du sens », commente Christophe Maradan. A part cette particularité du bilinguisme, les activités de la petite classe de Saint-Joseph ressemblent à celles de toutes les écoles enfantines. Elles font beaucoup appel au jeu et à l’imaginaire et sont centrées sur la socialisation, les échanges, la structuration spatio-temporelle, la musique et les sons, l’exploitation de l’environnement ou encore la motricité.

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Une intégration accompagnée

Arrivés à l’âge des classes enfantines, les enfants les plus à l’aise en communication orale, permettant d’accéder aux apprentissages, peuvent être intégrés avec leurs camarades entendants du même âge dans leur établissement scolaire de domicile.
Les professionnels de Saint-Joseph enseignants de soutien ou thérapeutes continuent alors à les soutenir. « Nous nous déplaçons sur les lieux de leur scolarité,explique Anne Tanzer Alt, et nous collaborons avec leur enseignante.


Le « regard médical » : différent mais pas incompatible...

« Les conceptions de l’Institut Saint-Joseph sont parfaitement connues et tolérantes par l’équipe de l’Inselspital, et nous collaborons en bonne entente avec nos collègues de Berne », affirment les professionnels de Saint-Joseph. « C’est vrai, le regard médical est parfois différent du nôtre, mais nous essayons d’être complémentaires », constate Christophe Maradan. « En caricaturant un peu, les médecins spécialistes ont pour idéal des enfants sourds qui entendent et qui parlent, tandis que nous, en tant que pédagogues qui privilégions leur développement global, nous souhaitons des enfants sourds qui comprennent et s’expriment ! Nous mettons l’accent sur la relation, la communication, alors que certaines études médicales très ciblées ne mesurent que certains aspects du langage, tels que la construction du langage parlé, avec des paramètres un peu pauvres à nos yeux, comme l’étendue du lexique ou - dans une moindre mesure - la connaissance due la grammaire. Cela dit, la collaboration que nous avons avec l’équipe bernoise prouve que la compréhension réciproque peut se construire. »

LA RIGUEUR MEDICALE N’EXCLUT PAS L’OUVERTURE

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Le Dr Mattheus Vischer dirige le service d’implants cochléaires de l’Hôpital de l’Île (Inselspital) à Berne. Tout en se déclarant en accord avec les conceptions médicales du Dr Jacques Cherpillod, médecin-conseil de l’ECES à Lausanne, ou des médecins du CRIC à Genève, il fait preuve, au niveau de sa pratique, d’une plus grande ouverture à des points de vue et à des valeurs qui ne coïncident pas forcément avec la stricte orthodoxie médicale. Interview.

Le Dr Jacques Cherpillod et les médecins du CRIC professent des positions très tranchées quant au suivi des enfants sourds implantés. Vous-même et votre équipe avec la réputation d’être plus ouverts à la langue des signes, par exemple. C’est bien juste ?

Peut-être, mais je dois d’abord préciser que je n’ai aucune divergence sur le plan médical avec mes confrères lausannois et genevois. Je les connais bien et nous avons une très bonne collaboration en tant que spécialistes de l’audition des enfants sourds et malentendants.
Ce qui nous distingue probablement, c’est une approche différente du suivi des enfants sourds implantés. Mon équipe et moi-même, nous tenons avant tout à ce que l’éducation spécialisée soit la plus proche possible de l’enfant et de sa famille - d’un point de vue géographique, mais aussi relationnel. C’est pour cela que nous entretenons des relations étroites avec les professionnels de l’Institut Saint-Joseph, près de Fribourg, et ceux de l’ECES, à Lausanne.

Maintenant, je vous pose très directement la question : que pensez-vous de l’utilisation des signes avec les très jeunes enfants sourds implantés ?

L’implant cochléaire est spécialement conçu pour permettre la perception des fréquences du langage. Mais il ne s’agit pas d’une audition naturelle. C’est une audition artificielle, qui dépend d’un entraînement particulièrement intensif, comme je le répète souvent aux professionnels concernés. Donc, plus l’enfant baigne dans une communication en langue parlée, plus vite il progresse dans la construction du langage oral grâce à son implant. Mais quand on commence à dire qu’on est « pour » ou « contre » la langue des signes ou le LPC, cela devient une prise de position politique, et je crois qu’il faut absolument éviter d’entrer dans une guerre politique...

Vous parlez de guerre politique, que voulez-vous dire par là ?

En fait, je pense à tous ces affrontements stériles qui opposent des conceptions philosophiques, politiques, religieuses, culturelles, etc. Il n’y a rien de pire ! Je crois au contraire que le respect mutuel est une valeur essentielle si l’on veut que l’entourage familial de l’enfant et les professionnels de l’éducation spécialisée puissent agir ensemble et en synergie pour aider cet enfant à progresser au mieux. Donc, il y a un consensus à trouver...

Vous êtes donc partisan d’un compromis - sur la langue des signes, par exemple ?

Je ne pense pas que des positions absolues signifient grand-chose. Il y a d’ailleurs toujours un facteur culturel qui intervient dans le mode de communication. Par exemple, dans certaines familles, on parle énormément ; dans d’autres, on parle très peu. Voyez aussi la différence de mode de communication entre le sud et le nord de l’Europe : dans les régions méditerranéennes, des gestes spontanés prennent beaucoup plus d’importance ! C’est pourquoi, pour la langue des signes, je ne voudrais pas imposer de norme. Evidemment, il y a quand même une mesure à respecter. Si on me dit qu’un enfant sourd implanté reçoit 70 % de langue des signes et 30 % de langue orale, évidemment je répondrai que je ne suis pas d’accord ! Même 50%-50%, ce n’est pas adapté, à mon avis : il faut vraiment donner une claire priorité à la communication parlée si l’on veut établir un développement rapide du langage et mettre à profit l’implant au maximum. Mais une utilisation correcte de l’IC accompagnée des signes, pourquoi pas ? Je ne crois pas que cela nuise gravement aux progrès de l’enfant.


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