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Les politiques d’intégration scolaire et sociale en faveur des enfants et des personnes sourdes

Article publié le jeudi 2 février 2006.
traduction : es


Alors que la Loi "handicap" et ses conséquences mobilisent presque toute notre attention, un rappel du chemin parcouru pour que les enfants sourds puissent espérer grandir auprès de leurs camarades entendants (ou avec tous les enfants de leur âge) et pour que leurs parents soient considérés comme des partenaires capables de faire des choix d’éducation et de communication, entre autres, nous a paru intéressant.

Ainsi, cet article propose un tour d’horizon des étapes fondamentales (du siècle dernier) qui ont permis de pouvoir aujourd’hui, envisager presque sereinement la scolarisation des enfants sourds, étapes qui ont permis aux parents d’être entendus et enfin qui ont amené à la reconnaissance de la langue des signes et de la diversité des modes de communication dans l’éducation des enfants sourds.

SOMMAIRE

  1. Introduction
  2. Le cadre législatif
  3. La reconnaissance d’une langue et le choix des structures ouvertes
  4. Les parents reconnus comme des partenaires

Introduction

Les lois et les textes réglementaires traduisent l’évolution des mœurs et des mentalités et en donnent une photographie à un moment donné.

Les deux lois de 1975 ont profondément et durablement déterminé les politiques sociales en direction des personnes handicapées jusqu’à leurs réformes respectives en 2002 et 2005.
La loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, en réaffirmant la place centrale de l’usager, a permis de passer d’une logique d’institution à une logique fondée sur les besoins de la personne.
La loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » définitivement adoptée le 11 février 2005 [1] a elle, mis au premier plan la compensation du handicap, l’accessibilité pour tous et la scolarisation des enfants et adolescents handicapés.

Sans présenter de façon exhaustive l’ensemble des textes qui ont fondé les politiques dans le champ du handicap ni ceux, à l’origine des actions et des dispositifs qui ont ouvert des horizons plus larges aux personnes sourdes, ce document présente comment la scolarisation et la place des parents ont évolué à travers une législation et une réglementation pour l’éducation des enfants handicapés et plus particulièrement des jeunes sourds.

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Un cadre législatif qui pose le droit pour les enfants sourds de vivre au milieu des autres enfants.

L’intégration scolaire, profondément réformée par la notion de scolarisation inscrite dans la loi du 11 février 2005 est une question ancienne qui, pendant plus de trente années, a fait l’objet de multiples textes. Ainsi, la loi d’orientation 75-534 du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, texte fondateur, a été promulguée en faveur d’un mouvement social qui considère que l’école est le lieu privilégié pour préparer l’intégration sociale de tous les enfants.

Durant les années 80 et 90, un dispositif législatif a été développé affichant la volonté de l’Etat d’engager une évolution sociale dans le sens de l’intégration. Notons particulièrement les circulaires sur l’intégration [2] qui, en 1983, donnent l’initiative des projets d’intégration aux familles leur accordant une place prépondérante. La loi du 10 juillet 1989 [3] relative à l’éducation des enfants handicapés a, elle, réaffirmé le droit à l’éducation et la priorité donnée à l’intégration. La circulaire de 1999 [4] définit la scolarisation comme un droit et l’accueil comme un devoir et insiste spécifiquement sur le fait que l’intégration scolaire est un moyen de l’intégration sociale. Cette circulaire a été accompagnée de la mise en place du dispositif Handiscol dont l’objectif principal est de coordonner et de faciliter les actions des différents partenaires de l’intégration et des modalités de scolarisation. C’est une nouvelle étape dans la réglementation autour de l’intégration scolaire. Le législateur réaffirme dix ans après la loi de 1989 sur l’obligation éducative, l’obligation d’accueil des enfants à l’école et en même temps il donne à l’ensemble des acteurs le mode d’emploi et en décline les intentions. Enfin, les nouvelles mesures proposées par M.Luc FERRY en janvier 2003 ont défini trois axes prioritaires au sein de l’Education nationale pour favoriser l’intégration des enfants handicapés :
-  la garantie du droit à la scolarité de tous les enfants,
-  la formation des personnels et le développement de la formation spécialisée
-  et enfin l’amélioration des conditions de scolarisation en développant les aides à l’intégration.

Les politiques d’intégration scolaire ont été, ainsi, pendant les vingt dernières années régulièrement relancées et depuis, l’école s’ouvre lentement à cette idée.

Le secteur médico-social s’est lui aussi fortement engagé dans le processus d’intégration dès sa structuration avec les lois de 1975. La loi d’orientation, au-delà de l’obligation éducative et au-delà de l’accès au droit commun, institue, chaque fois que possible, le maintien dans le cadre de vie ordinaire même si de façon contradictoire, les articles suivants insistent sur l’éducation spécialisée et le milieu protégé. En fait, dans cette deuxième loi fondatrice, l’intégration est conditionnée par les aptitudes de la personnes et du milieu familial.

En 1970, le décret 70-1332 a reconnu la spécificité de la prise en charge des enfants déficients sensoriels en créant l’annexe XXIV quater. Les évolutions de la connaissance des déficiences ont favorisé la spécialisation des traitements des déficiences auditives et visuelles. En créant une nouvelle annexe pour la déficience visuelle, en 1988 et en réformant l’annexe XXIV quater pour la déficience auditive seulement, les pouvoirs publics ont reconnu la nécessaire spécialisation des structures chargées de proposer des soutiens adaptés aux enfants.

Ainsi, l’annexe XXIV quater d’avril 1988 [5] , introduit le principe de la prise en charge globale de l’enfant déficient auditif, du rôle primordial de la famille et de son nécessaire accompagnement. Ce nouveau texte confère une base juridique à l’existence de services de soutien à l’éducation familiale et à l’intégration scolaire pour les enfants sourds. Il traduit un changement de regard sur l’enfant sourd en lui reconnaissant le droit de vivre avec les autres à défaut d’être comme les autres.

L’enfant n’est donc plus systématiquement retiré du milieu ordinaire pour être orienté dans le système spécialisé, c’est au système spécialisé de s’adapter pour répondre aux besoins de chaque enfant déficient auditif. Avec ce texte, c’est la première fois que les services de soins et les établissements spécialisés sont associés sous le même label. Dès lors, il est instauré une complémentarité plutôt qu’une opposition entre l’école ordinaire et les établissements ou services médico-sociaux.

Enfin, la loi du 11 février 2005 dans son volet sur la scolarité répond à l’exigence d’intégration en milieu ordinaire des enfants handicapés en précisant que tous les enfants devront être inscrits dans l’école du quartier où il résident. Tout enfant pourra ainsi, tant que sa santé le lui permet, être scolarisé comme n’importe quel enfant et bénéficier des aides complémentaires qui seront nécessaires à sa participation effective. Le projet individuel d’intégration constituera un élément essentiel du plan de compensation visé à l’article L.146-4 du Code de l’action sociale et des familles. Dans les principes inscrits dans la loi, tout devra être mis en œuvre pour favoriser la scolarisation des enfants handicapés et chaque enfant devra pouvoir suivre un parcours ininterrompu jusqu’à l’enseignement supérieur.

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La reconnaissance d’une langue et le choix des structures ouvertes

La prise en charge des enfants déficients auditifs est marquée par une histoire particulière qui a très vite opposé des courants éducatifs très marqués par des orientations différentes en terme d’objectifs et de moyens. La controverse principale a concerné les modes de communication à utiliser et à développer avec l’enfant sourd. A peine plus d’un siècle après l’ouverture de la première école pour enfants sourds par l’Abbé de l’Epée en 1760, les défenseurs de la langue des signes se sont opposés à ceux qui prônaient la seule oralisation. Cette opposition entre les signes et l’oral renvoyait à l’idée que « seul le langage articulé conduisait à l’humanité et que l’individu privé de langage, de communication socialisante renvoyait à l’animalité ou à la folie [6] ». La prise en charge des enfants sourds a, en effet, été selon Bertrand DUBREUIL « ... dès le XIXème siècle, l’objet de querelles entre professionnels s’opposant entre gestualité et oralisation, entre clérical-privé et laïc-public. Le débat jusqu’au milieu du XXème siècle se situait au croisement du traitement de la folie et de l’éducation langagière des personnes sourdes... » [7] .

Pendant plus d’un siècle, les personnes sourdes apparaîtront ainsi plutôt comme objets de débats scientifiques et d’enjeux socio politiques que comme sujets d’une éducation. Le congrès de Milan en 1880 réunissant des représentants des institutions pour déficients auditifs au niveau international a affirmé le choix unique de la méthode d’éducation oraliste.

En France, si aucun texte n’a réellement interdit la Langue des Signes, l’orientation oraliste va s’étendre par imprégnation du modèle officiel au travers des INJS [8] . La Langue des Signes était, en effet, jugée nuisible à l’apprentissage de la parole, seul moyen (considéré fiable) pour les enfants de développer leurs facultés intellectuelles.

Il faudra attendre les années 1980 pour que les choses changent. C’est à ce moment-là que le mouvement vers l’intégration voulue par des parents et des professionnels a permis de proposer aux enfants sourds d’autres perspectives que l’orientation dans les instituts spécialisés et d’autres possibilités d’accéder à une meilleure communication. Le texte de l’Annexe XXIV quater réformée en 1988 mettra fin au moins légalement à cette vaine querelle entre oralisme et gestuel en considérant l’utilisation des codes gestuels ou de la Langue des Signes comme un moyen d’accéder à une meilleure maîtrise de la langue orale et en demandant aux établissements de se doter de personnes qualifiées en orthophonie, en LPC [9] ou en langue des signes ainsi que de veiller à la qualification des personnes dans ces domaines.

La Loi Fabius en 1991 [10] offrant la possibilité aux parents de choisir entre éducation orale et/ou bilingue ainsi que l’ouverture des internats à l’intégration vont moduler les dispositifs offerts aux enfants et adolescents sourds.

Enfin, la reconnaissance de la langue des signes à l’école en 2000 et comme langue « régionale » en 2004 a constitué une étape essentielle dans la reconnaissance de la multiplicité des modes de communication pour les jeunes sourds à l’école. La loi du 11 février 2005 a inscrit cette reconnaissance en notant dans l’article 19 du titre IV sur l’accessibilité : « Dans l’éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d’Etat fixe, d’une part, les conditions d’exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d’autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l’éducation des jeunes sourds pour garantir l’application de ce choix. »

L’idée est aujourd’hui établie de la nécessité de la pluralité des réponses, de la reconnaissance des aides techniques et des aides humaines dans la prise en charge de l’enfant déficient auditif.

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Les parents reconnus comme des partenaires

Le premier signe de reconnaissance de la place des parents [11] est apparu dans la loi sur l’autorité parentale de 1970 [12] où il est dit que « l’enfant en assistance éducative doit être maintenu dans son milieu naturel ». L’autorité est bien reconnue aux parents même pour l’enfant « en danger ». Avant cette loi, peu de textes font référence aux parents si ce n’est en tant qu’objet de traitement comme dans le décret sur les CMPP de cure ambulatoire [13] qui précise : « ... ont pour objet de réadapter l’enfant en le maintenant dans son milieu familial et comprennent une action sur la famille qui peut recevoir en centre les indications nécessaires... ».

A partir des années 70, la place de la famille évoluera pour devenir :
-  dans un premier temps, lieu de traitement avec l’annexe XXIV quater au décret n° 70-1332 du 16 décembre 1970 relative aux conditions techniques d’agrément des établissements privés pour enfants inadaptés qui a reconnu la spécificité de la prise en charge des enfants déficients sensoriels et permis la création des services de soins rattachés à un établissement et pouvant intervenir dans la famille.
-  Dans un second temps, agent d’intervention avec la circulaire [14] relative au dépistage et à l’éducation précoce de l’enfant déficient auditif qui préconise d’associer au sein de l’équipe « ... un ou plusieurs membres de la famille, la mère le plus souvent, comme agent essentiel de l’action et de la concertation. »

La loi d’orientation en faveur des personnes handicapées [15] dans son article 1, associera les interventions de la famille à celles des autres partenaires. Elle indiquera également le maintien dans le cadre de vie ordinaire comme un principe, lui-même renforcé par la circulaire sur le fonctionnement des CDES [16] en 1976 qui insistera sur le fait que l’enfant a besoin de sa famille et de son cadre de vie ordinaire pour se développer.

La loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales ira plus loin dans la place laissée aux familles, en introduisant dans son article 4, la possibilité de dérogations aux normes pour des réalisations de type expérimental. Cette possibilité amènera à la création de services de soutien à l’intégration gérés par des associations de parents dès les années 1980 [17] grâce également à la première annexe XXIV.

Les années 80 amorceront l’idée que personne n’est propriétaire de l’enfant et que la famille ne peut en être dépossédée. Sa place première est reconnue dans plusieurs textes dont les circulaires n°87-273 et 87-08 qui définissent entre autres, l’organisation des établissements privés accueillant des enfants et adolescents atteints de déficiences auditives sévères ou profondes. Celles-ci précisent, en effet, que la famille, quelle que soit sa situation, ne doit jamais se trouver dépossédée de ses responsabilités fondamentales ou privée de ses possibilités d’action.

La dernière réforme de l’annexe XXIV quater en 1988 traduira également un changement de regard sur les parents et une vision plus optimiste de la prise en charge des enfants déficients auditifs. Elle donnera, en effet, le droit aux familles de participer à l’éducation de leur enfant handicapé au même titre qu’elles le font pour un enfant ordinaire « ...chaque enfant est un être singulier qui a droit à une éducation et à des soins, et ce travail ne peut se réaliser qu’avec une prise en compte de ce qui s’est fait ou doit se faire en amont avec la famille... »

Enfin la loi du 02 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale organise la participation des usagers à la vie des établissements et services en créant le Conseil de la vie sociale [18]. Conçu comme un lieu d’écoute et de tolérance, celui-ci doit donner aux usagers - personne handicapée ou son représentant légal - la possibilité d’interroger les pratiques en apportant leur propre expérience. De même, ils peuvent saisir une personne qualifiée [19] en cas de conflit avec l’établissement ou le service. Ces mesures reconnaissent l’usager, donc les parents comme des personnes compétentes qui ne dépendent pas de l’institution sur le seul critère que leur enfant y est placé.

Ainsi, l’importance donnée aujourd’hui à l’usager et de fait au couple parents-enfants permet de reconnaître les compétences des parents pour construire l’avenir de leur enfant. Elle leur reconnaît une place essentielle, centrale sans l’investir de quelques pré-requis que ce soit. Il n’y aurait pas d’un côté des parents capables et possédant des qualités éducatives importantes et de l’autre des parents démissionnaires ou incapables d’assumer correctement le handicap de leur enfant. Tous devront pouvoir jouer le rôle qui est le leur dans la prise en charge médico-sociale de leur enfant, celle-ci étant un moyen du projet de vie construit en commun.

Christiane CARRETERO Directrice ARPEDA Réunion

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[1] votée à l’Assemblée Nationale le 03 février et promulguée le 11 février 2005

[2] circulaires n°83-082 et 3/83/s du 29 janvier 1983

[3] Loi n°89-486 du 10 juillet 1989

[4] circulaire n°99-187 du 19 novembre 1999

[5] L’annexe XXIV quater du décret 88-423 du 22 avril 1988 complété de la circulaire n°88-09

[6] cf Bertrand DUBREUIL

[7] d’après l’intervention de Bertrand DUBREUIL, éducateur et docteur en sociologie lors d’un colloque à Nîmes en 2001

[8] Instituts Nationaux des Jeunes Sourds

[9] Langage Parlé Complété

[10] Loi n°91-73 du 18 janvier 1991, dite Loi Fabius

[11] Base d’information sur Communiquer n°100, article de Pierre LAFFITE

[12] Loi n°70-459 du 04 juin 1970 relative à l’autorité parentale

[13] Décret n° 63-145 du 18 février 1963 fixant les conditions d’autorisation des établissements privés de cures ambulatoire et de prévention pour les soins des assurés sociaux

[14] Circulaire DGS/78/PME 2 du 24 janvier 1977

[15] Loi 75-534 du 30 juin 1975

[16] Circulaire n°16-156 et n°31 du 22 avril 1976

[17] C’est le cas du SSEFIS de l’ARIEDA à Montpellier.

[18] Décret n°2004-287 du 25 mars 2004

[19] Décret n° 2003-1094 du 14 novembre 2003


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